L’une porte le médaillon de son arrière-grand-mère, l’autre un chapeau haut de forme. En ce début du mois de décembre, à Perpignan, ils sont nombreux à s’être parés de leur plus beaux costumes du Second Empire pour défiler et danser lors de la fête de la Saint Eloi.
Ils y célèbrent le temps où Perpignan fabriquait ses propres créations en grenat. Depuis 2018, ces bijoux aux couleurs catalanes font partie des rares produits protégés par le label « Indication Géographique » en France. Entourée de mystères et de légendes, cette pierre tire sa couleur rouge des minéraux de fer présent dans sa composition.
Cet évènement met également en avant le travail de femmes et d’hommes qui, pendant des mois, fabriquent ensemble les costumes. Pour les récompenser, des accessoires en grenat seront offerts aux plus belles tenues. Entre authenticité, tradition et émerveillement, cet évènement apparaît avant tout comme un moment de partage et de joie pour les amoureux des traditions.
Fête nationale, la Saint-Éloi revêt plusieurs formes selon les régions. Depuis 2009, à Perpignan, le Syndicat artisanal des bijoutiers des Pyrénées-Orientales, la Confrérie « Le grenat de Perpignan » et l’Institut du Grenat ont pris l’initiative de faire renaître cette tradition catalane pour la réencrer sur son territoire.Saint-Eloi (588-660), ancien évêque de Noyon et conseiller du Roi Dagobert, est considéré comme le saint-patron des ouvriers travaillant les métaux tels que les maréchaux-ferrants, les charretiers, les laboureurs ou les orfèvres.Cette pierre, entourée de mystères et de légendes, est supposée détenir certains pouvoirs : l’aptitude à protéger des blessures et du poison. Elle symbolise la vérité, la loyauté et est censée apporter la prospérité. A l’origine, il existait de nombreux gisements localement, mais aujourd’hui, elle provient principalement d’Inde, de Madagascar et du Sri Lanka.Les premières mentions historiques d’une confrérie d’orfèvres à Perpignan remontent au Royaume de Majorque (1276-1344) qui, chaque année, jusqu’à la Révolution française, fêtait la saint Eloi, le 25 juin et le 1e décembre. Mais c’est précisément à partir du XVIIIe siècle que le grenat a été utilisé de façon régulière avec un essor dans les productions perpignanaises aux alentours de 1880.Cet historien de l’Art, spécialisé dans l’étude des arts décoratifs et particulièrement des bijoux et des costumes, a créé en 2010 l’Institut du Grenat qui collecte photographies, archives et dessins de la bijouterie roussillonnaise. Pour lui, la Saint-Eloi permet de transmettre ces traditions et de créer du lien social grâce à l’émerveillement que ces créations suscitent chez les passants.En 1993, Didier et Marcel ont repris la boutique-atelier de leur père, inchangée depuis sa création. La bijouterie roussillonnaise est en effet une tradition familiale. Du grand-oncle, Lucien, à leur père Louis, membre fondateur de l’association des artisans bijoutiers spécialistes du grenat catalan, les Bonafos travaillent le grenat depuis trois générations.« Enfants, nous étions peu intéressés par le travail de notre père. C’est au lycée, quand j’ai décidé d’arrêter mes études que mon père m’a proposé un stage chez un ami. J’y ai pris goût et mon frère aussi après son baccalauréat d’électrotechnique. »Soucieux de préserver le savoir-faire du grenat catalan, les deux frères utilisent les techniques traditionnelles consistant à emboutir une plaque d’or laminée sur une galette en plomb à l’aide d’estampes. Elle est ensuite soudée à un ruban d’or, appelé « sertissure » pour former le « chaton » qui épousera parfaitement les contours de la pierre.Une feuille métallique de couleur rouge, appelée « paillon », est alors glissée au fond du chaton pour capturer la lumière et la réfléchir au travers de la pierre. Le tout est alors serti, garantissant un ajustement parfait et durable de l’or et du grenat.Le polissage à la brosse circulaire permet lui de révéler la couleur et l’éclat de l’or, donnant son aspect définitif au bijou. Cette année, pour la Saint-Eloi, les deux frères ont créé les deux pendentifs, l’épinglette et le bijou en grenat offerts aux gagnants du concours du plus beau costume.Corinne confectionne dans son atelier des costumes à partir de pièces de collections et de tissus récupérés sur différents marchés. Elle les offre ensuite à l’association « Le Temps du Costume Roussillonnais » qui lui a donné le goût du métier.Laurent Fonquernie est également à l’origine de cette association fondée en 2017. La dizaine de bénévoles qui la compose, souhaite revaloriser les costumes roussillonnais du XIXe et XXe siècle. elle défile avec des tenues reconstituées à l’identique lors d’événements publics des Pyrénées-Orientales comme la Saint-Eloi.La crinoline est un sous-vêtement qui s’est développé particulièrement sous le second Empire. Il s’agit d’un des articles de mode les plus portés de l’histoire du costume. Elle est formée à l’origine d’une trame de crin de cheval et d’une chaîne de fil de lin ou de coton épais et résistant pour supporter le poids de la jupe et lui donner de l’ampleur.Après avoir passé un Diplôme des Métiers d’Arts où il a appris à créer des costumes historiques, Ferréol GALAN est devenu costumier-réalisateur. Il aime échanger avec des passionnés et crée des œuvres vestimentaires : « quand je réalise un costume en prêtant attention aux détails, je donne vie à des personnages. Et lorsque le costume va comme un gant à une personne cela permet de la sublimer ».Une fois la crinoline terminée, Corinne s’attelle aux différents éléments des tenues à confectionner: couches de jupons, corsage en suédine, jupes à volant et à pli canon, broderies, capes, châles et pèlerines. Elle y apportera des finitions jusqu’aux derniers moments.Outre la reprise, après une année d’interruption liée à la pandémie, cette édition a été marquée par l’organisation d’un défilé pour les 150 ans du Lycée Notre Dame de Bon Secours. A cette occasion, les élèves de l’établissement ont revêtu les créations de Corinne et de l’association le Temps du Costumes Roussillonnais, assurant ainsi la transmission de cette tradition.« Le Grand défilé Napoléon III » est accompagné de chevaux rendant hommage d’un côté à Saint-Eloi, saint patron des maréchaux-ferrants et d’un autre côté au temps où ces animaux étaient centraux dans la vie des gens en tant qu’outils de travail et moyens de déplacement.Cet évènement permet de valoriser les danses traditionnelles du second empire, accompagnées de musiques traditionnelles catalanes de la même période. Il est aussi l’occasion de revisiter des lieux emblématiques de Perpignan, comme l’Hôtel Pams, construit en 1952, année du sacre de Napoléon III.Dans un contexte de revendications sociales et économiques, particulièrement marqué ces dernières années, ces traditions peuvent paraître parfois en décalage avec la réalité d’une partie des Français.Pourtant, que ce moment soit ancrée dans une réalité ou non, cela permet pour certains de s’évader en passant de bons moments, fait de fantaisie et d’enracinement culturel. L’espoir subsiste pour ces artisans de la fête de la Saint-Éloi, de transmettre cette tradition aux nouvelles générations présentes.